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EXPOSITION "TURNER, PEINTURES ET AQUARELLES, COLLECTIONS DE LA TATE."  

AU MUSEE JACQUEMART ANDRE

DU 26 MAI 2020  AU 11 JANVIER 2021

© Texte et photos Eric Bahari, publié le 27 mai 2020




En 2020, le musée Jacquemart-André présente une rétrospective de Joseph Mallord William Turner (1775-1851). Incontestablement le plus grand représentant de l’âge d’or de l’aquarelle anglaise, il en exploita les effets de lumière et de transparence sur les paysages anglais ou les lagunes vénitiennes.
Grâce aux prêts exceptionnels de la Tate Britain de Londres, qui abrite la plus grande collection de Turner au monde, le musée Jacquemart-André accueille une exposition de 60 aquarelles et quelque 10 peintures à l’huile, dont certaines n’ont jamais été présentées en France.

Outre ses œuvres achevées destinées à la vente, Turner conservait pour lui-même un fonds considérable d’œuvres, laissé à sa mort dans sa maison et dans son atelier. Avec leur caractère propre, ces esquisses, plus expressives et expérimentales, sont certainement plus proches de sa vraie nature que celles peintes pour le public. Au total, après la mort de l’artiste, la nation britannique en 1856 reçoit un legs immense comprenant une centaine de peintures à l’huile, des études inachevées et des ébauches, ainsi que des milliers d’œuvres sur papier : aquarelles, dessins et carnets de croquis. L’écrivain John Ruskin, l’un des premiers à avoir étudié l’ensemble de ce legs, observa que Turner avait réalisé la plupart de ces oeuvres « pour son propre plaisir ».

Aujourd’hui conservé à la Tate Britain, ce fonds révèle toute la modernité de ce grand peintre romantique.
L’exposition dévoile une partie de ce fonds intime qui offre des points de vue uniques sur l’esprit, l’imagination et la pratique privée de Turner.
Cette monographie évoque le jeune Turner, issu d’un milieu modeste. D'abord autodidacte, il travaille chez un architecte, prend des cours de perspective et de topographie, puis entre à l'école de la Royal Academy à l'âge de quatorze ans. Insatiable voyageur, il s'affranchit progressivement des conventions du genre pictural et met au point sa propre technique.

Un parcours chronologique permet de suivre pas à pas son évolution artistique : de ses oeuvres de jeunesse d’un certain réalisme topographique, aux oeuvres de sa maturité, plus radicales et accomplies, fascinantes expérimentations lumineuses et colorées.
Associées ici à quelques aquarelles achevées et peintures à l’huile pour illustrer leur influence sur la production publique de Turner, ces œuvres très personnelles demeurent aussi fraîches et spontanées que lorsqu’elles sont nées sur le papier.


Château de Caernarvon, nord du Pays de Galles

Exposé en 1800, Aquarelle sur papier, Tate



C'est lors de son voyage au Pays de Galles en 1799 que Turner découvre la Château de Caernarvon. L'année suivante, il expose à la Royal Academy cette aquarelle d'un haut degré de finition qui inscrit la silhouette du château à l'arrière-plan d'un vaste paysage.

Construit à la fin du XIIIe siècle par le roi d'Angleterre Edouard 1er après sa conquête du Pays de Galles. Le château est considéré comme un symbole de l'oppression du peuple gallois. Cette dimension historique est souligné par Turner qui dépeint au premier plan à gauche une figure de Barde déplorant la mort de ses compatriotes lors de l'invasion anglaise.

Bien qu'il soumette depuis quatre ans des aquarelles de plus en plus ambitieuses à la Royal Academy, c'est la première fois que Turner y présente un sujet historique dans cette technique.





Conçu par l'architecte britanique James Paine (1717-1789), le pont de Richmond a été inauguré en 1777. Dès 1779, le London Magazine écrivait qu'en observant sa silhouette les connaisseurs en peinture se souviendraient instantanément de certaines des meilleures créations de Claude Lorrain.

L'artiste français du XVIIe siècle, figure emblématique du paysage classique, est une référence assumée pour Turner, qui souhaite s'inscrire dans la tradition de la grande peinture. le pont de Richmond est donc un motif idéal pour lui.

Dans cette toile qu'il a présentée dans sa galerie en 1808, Turner nimbe le pont à l'arrière plan d'une brume lumineuse qui contraste avec les rives ombragées de la Tamise. Bien qu'ils s'inscrivent dans un paysage élégamment souligné d'une architecture moderne, les personnages ne sont pas sans évoquer les figures antiques qui peuplent les toiles de Claude Lorrain.



Vue de Richmond Hill et d'un pont

Exposé en 1808, Huile sur toile, Tate



Le Rameau d'or

Exposé en 1834, Huile sur toile, Tate




Cette toile de grand format s'inspire du chant VI de l'Enéide, la célèbre épogée de Virgile.

Accompagné par la sibylle de Cumes, le héros Enée va descendre aux enfers pour revoir son père Anchise : afin d'être admis au royaume des morts et passer le Styx, ils doivent présenter un rameau d'or.

Dans un paysage dont les tonalités délicates et lumineuses évoquent celles des tableaux du Lorrain.

Turner omet volontairement de représenter Enée pour concentrer l'attention sur la figure éclatante de la sibylle qui brandit le rameau.

Turner travaille l'arrière-plan d'une touche très fluide, qui rappelle sa pratique de l'aquarelle et accentue les effets de brume au-dessus du lac.

Il se dégage du premier plan, traité dans une touche plus précise, une atmosphère bucolique : seul un serpent, dissimulé dans les herbes en partie droite, suggère la proximité des enfers.








Palette "Chelsea en bois, dernière palette de l'artiste


Château de Kilgarren, Pembrokeshire

Exposé en 1799, Huile sur toile, National Trust



Venise, la Piazzetta avec la cérémonie du Dodge épousant la mer, vers 1835



Bien que cette toile aux couleurs vives et vibrantes soit inachevée, on perçoit immédiatement que la scène se situe à Venise : les silhouettes du campanile de la basilique Saint-Marc et du palais des Doges semble émerger de la brune pour encadrer le mariage symbolique du premier magistrat de la cité avec l'Adriatique, représenté à gauche, au pemier plan à gauche.

Célébrée le jour de l'Ascension, cette cérémonie était un rite majeur dans l'ancienne République de Venise, jusqu'à l'abdication du dernier doge en 1797, après l'arrivée des troupes françaises de Bonaparte.

Du temps de Turner, cette fête n'existe donc plus. En rappelant ces fastes perdus, l'artiste a sans doute voulu conférer une dimension historique à ce paysage, mais il a abandonné sa toile avant de lui donner le fini des autres sujets vénitiens qu'il réalise dans les années 1830.

Turner a probablement travaillé à cette toile pendant une longue période, reprenant plusieurs zones au fil des années et modifiant peu à peu le sujet d'origine.

Il semblerait qu'il ait au fur et à mesure recouvert certains motifs figuratifs, peut-être d'autres bateaux, qu'on devine dans les formes sombres de la mer. 

Les bâtiments qu'on apperçoit à l'arrière plan, sur la gauche, pourraient représenter Venise, mais les seuls motifs qu'on identifie avec certitude sont les petites voiles blanches du Yacht poussé par le vent.

Dans cette toile, le véritable sujet pour Turner est la lumière. L'artiste la restitue par des touches vibrantes, qui forment un halo dans le ciel et sur la mer. Cela crée un effet visuel éblouissant pour le spectateur, saisi par la force des éléments que Turner peint avec une maestria inégalée.



Yacht approchant de la côte, vers 1840-1845


Quai de Venise, palais des Doges, exposé en 1844


C'est sans doute après son dernier voyage à Venise en 1840 que Turner a peint cette vue oblique de la Riva degli Schiavoni, le principal front de mer de la Sérénissime.

À l'arrière-plan, on distingue sur la gauche el pallais des doges, le campanile de la Basilique Saint-Marc et, à droite, le dôme blanc et le clocher de l'église Saint-Zacharie.

L'artiste a représenté un quai bondé de bateaux dont les mâts verticaux rythment le plan médian. 

Légèrement décenntré, au premier plan, un groupe de gondoles ajoute une note pittoresque et approfondit la composition.

Peinte dans une gamme de tons doux dominés par les jaunes qu'affectionnait Turner, ce tableau se caractérise par une dissolution des formes qu'on retrouve dans la plupart de ses vues de Venise : Il est difficile de distinguer où la terre finit et où l'eau commence.